Ca faisait un bail... Il est probable qu'ayant toujours su que je finirais par critiquer la Horde du Contrevent, mon roman préféré, sa critique effective m'a donné pour un temps le sentiment d'avoir "accompli ma tâche". Mais ce sentiment d'accomplissement s'est dissipé, rongé par le temps, que Neil Gaiman qualifie dans l'ouvrage chroniqué ci-dessous de "voleur impénitent finissant toujours par tout emporter au fin fond de ses oubliettes poussiéreuses"... Et puis bon, j'avais d'autres trucs à faire...
Au boulot, je me sens un peu rouillé, mais fi...
Infos: Stardust est... un conte de fées pour adultes, chose que seul Neil Gaiman puisse s'embêter à écrire. 222 pages de poésie qui sont tombées sur Terre en 1999. Pour rappel sur le sieur Gaiman, probablement meilleur écrivain de fantastique contemporain, citons surtout American Gods, Neverwhere, De Bons Présages (en collaboration avec Sir Terry Pratchett) et tiens, tant que j'y pense, le scénario du film Mirrormask, qui est plutôt... onirique.
Puisque je parle cinéma, j'ai vu le film adapté de Stardust il y'a bien des années, soit avant de lire son illustre ancêtre, et même avant de connaître l'oeuvre de Neil Gaiman... J'en ai peu de souvenirs, mais il me semble que j'avais aimé.
Résumé: Wall est un petit village de le campagne anglaise tout ce qu'il y a de plus banal. Des champs, des bicoques, une taverne... et c'est à peu près tout ce qu'on en connait, mais cela suffit à nous renseigner sur sa banalité générale. Mais (et ce "mais" est sans doute le mot le plus important de cette critique, car sans lui, point de conte de fées, et par la même point d'aventure, ni donc de critique), "mais" donc, à l'Est de ce village, se dresse une muraille. Hooooo... Et, dans ce mur de pierres grises, une brèche et une seule, de six pieds de large. Haaaaa... Et au delà, une fois passé cette trouée dans le rempart, ou plutôt dans la réalité, Faërie (non, pas le bouquin que j'ai chroniqué en premier sur le blog, vous êtes bêtes...). Faërie est un condensé de tous les mythes, les folklores, les légendes du monde... Le Pays des Merveilles si vous préférez, d'une superficie telle que la Terre entière ne suffirait pas à contenir ce "Pays des fées" si sa nature magique ne suffisait pas à le faire exister.
Nous y suivrons les tribulations du jeune Tristan, qui, après une déclaration d'amour pour le moins éconduite, promettra à celle qu'il désire charmer de lui ramener, en échange d'un baiser, d'un mariage ou de quoi que ce soit qu'il lui demande, l'étoile filante qu'ils viennent d'apercevoir tomber... au delà du mur ! Cette ingénue acceptant, Tristan, déjà lié au Pays des fées plus qu'il ne s'en doute, partira sans plus tarder à la recherche de son étoile...
Personnages:
Tristan. Il est assez basique. Il est bon, généreux et altruiste, et surtout animé d'une volonté farouche de mener sa mission à bien. Il aurait pu être plus travaillé... pour un vrai roman. Un conte se fournit en archétypes, et il est un archétype parfait du preux héros, à la volonté forgée par l'amour et prompt à faire le bien si l'occasion se présente. C'est à peu près tout.
L'étoile (qui, au niveau de la forme, est une femme durant tout le roman). Aussi appelée, par ses soeurs, puis par l'auteur, et enfin par Tristan, Yvaine. Un bon archétype aussi. Celui d'une âme perdue, fragile et appeurée par le monde étranger qui l'entoure depuis sa chute du ciel en Faërie. On pourra apprécier deux facettes de cet archétype: parfaitement opposée à ce que Tristan la conduise de force à Wall pour tenir sa promesse, puis se liant peu à peu d'affection pour le jeune homme; la première prêtant à rire (notamment lorsque Tristan la coupe pour lui dire d'avance les insultes qu'il la sait s'apprêter à dire, "comme la veille"), et la seconde beaucoup plus touchante. Cette étoile sera la lueur de tristesse et de mélancolie qui aggravera le récit, de par sa blessure suite à la chute, et surtout son regret d'avoir quitté ses soeurs étoiles et sa mère la Lune.
A ceux-ci ajoutons certains antagonistes, eux-aussi à la poursuite de notre étoile, pour des raisons plus critiquables:
_ les 3 derniers enfants du seigneur de Stormhold voulant récupérer sur celle-ci une topaze symbole du pouvoir royal, dont la collision avec l'étoile a provoqué la chute de cette dernière. Le premier est un assassin sans pitié, souhaitant s'assurer la victoire en se débarassant de ses frères. Le second paraît plutôt bon et surtout paranoïaque car il connait le tempérament du premier. Le troisième... disons simplement qu'il ne connaissait pas assez le tempérament du premier pour nous laisser un souvenir marquant...
_ Lilim, la reine des sorcières... ou plutôt l'un des 3 corps de la reine des sorcières. C'est le personnage le plus cruel et sans pitié du conte. Elle souhaite extraire le coeur de l'étoile pour fournir, à elle et à ses deux autre corps, une énorme et rarissime source de jeunesse.
D'autres personnages parsèment le récit, certains pour un long moment, d'autres en coup de vent, d'autres encore à plusieurs reprises, mais ils sont moins importants et appartiennent au récit plutôt qu'à cette critique.
Tous ces personnages remplissent parfaitement leur rôle et sont agréables à suivre... Avec un léger bémol néanmoins pour Tristan qui ne nous surprend à peu-près jamais, et, pour un héros, c'est assez dommageable... Donc pour les personnages ça nous fera 4/5 pour manque de surprise du héros (et même des autres au final, mais comme ils sont nombreux... si les surprises ne viennent pas des actions des personnages, elles viennent de l'apparition des nouveaux)
Histoire:
Mince alors, entre le résumé et les personnages j'ai presque tout dit, je perds la main...
Ajoutons tout de même que l'on enchaîne différentes situations (voyages à pied, en carriole, à dos de licorne, à la lueur d'une bougie magique, en bateau volant, halte dans une fausse taverne crée par Lilim, retour à Wall...) et aussi que l'auteur alterne parfaitement entre l'avancée du héros et celle des autres poursuivants.
Sur ce que l'on rencontre... Encore une fois, cette idée de Pays des fées regroupant tous les mythes est parfaitement maîtrisée et l'on voit une licorne, des humains changés en oiseau ou en arbre parlant, des chasseurs d'éclairs, la reine des sorcières... Non vraiment c'est foisonnant, et, pour le coup, on ne peut pas dire qu'on manque de surprises.
Deux ombres au tableau: la ligne générale de l'histoire ne varie jamais, Tristan vient pour ramener une étoile à la jeune fille dont il est amoureux et cette quête restera inchangée, mais après tout c'est normal pour un conte; second point faible, plus difficile à exprimer... un sentiment d'un enchaînement de péripéties non reliées entre elles, d'un chapitre sur l'autre on passe de l'une à l'autre comme on enfilerait des perles... Cela manque de continuité. Donc un univers parfaitement créé, plein de situations différentes, mais qui ne font pas oublier que les évenements s'enchaînent bien souvent sans lien, et que l'histoire générale ne surprend jamais, qui permet à l'histoire d'obtenir tout de même 3.5/5, très bonne note lorsqu'on possède les défauts sus-cités...
Le style:
Ha, Gaiman... Cet homme est l'opposé même de Tristan: l'écrivain aux facettes multiples. Du grave d'American Gods à l'humour parfait de De Bons Présages, il nous avait déjà fait un grand écart magistral. Et voilà qu'il s'avère aussi manier le conte et, par extension, une forme de poésie, avec la même maestria. Et le conte pour adulte qui plus est: il sera parfois question d'oeil crevé ou de cadavre décapité, mais toujours avec des mots plein de poésie, faisant danser les couleurs, les odeurs, voire même les souffrances devant l'oeil de son lecteur. Et c'est tout aussi vrai, il va de soi, lors des passages nombreux en forêt, en auberge ou autres situations plus agréables, où vraiment, l'auteur nous prouve qu'avec l'utilisation de la vue sous l'une de ses plus inesthétiques formes (soit "déchiffrer de petits signes noirs sur une page blanche") il peut amener au cerveau des souvenirs ou même des découvertes de stimulations extrèmement fortes de tous les sens. L'homme est vraiment bon pour, grâce à ses mots, donner vie à un monde, en général par ses plus petits détails, qui sont d'habitude ennuyeux à lire, et font ici toute la saveur de l'ouvrage. Ajoutons à cela l'utilisation de nombreuses appartés, sur ce que pense tel personnage, ou directement du narrateur au lecteur, sur les petits secrets de ce monde, souvent pleines d'ironie et vraiment plaisantes. Ah, et, je crois que cela ajoute à l'aspect "conte", en tout cas je l'ai ressenti comme cela, citons le fait qu'il redécrive brièvement chaque personnage, excepté le héros, toutes les fois où ils reviennent dans l'histoire: il ne nous dit pas "Septimus parvint à l'orée du bois" mais "A l'orée du bois, un homme aux cheveux noirs et au profil de corbeau fit irruption d'entre les arbres. Septimus avait chevauché toute la nuit...". Ca ne parait rien, mais il le fait à chaque fois, et je ne sais pas pourquoi, mais c'est très agréable... Peut-être que le cerveau se réjouit de deviner, avant que l'auteur ne le nomme, le personnage qui vient d'apparaître, grâce au film qui s'y projette depuis déjà de nombreuses pages.... A noter que j'hésitais à ne mettre que 4.5 dans ce domaine car, en refermant le livre, je me suis dit que ça aurait été mieux avec moins de dialogue... Mais après reflexion, je pense que cette pensée n'est venue que de mon étonnement à apprécier autant ses descriptions et ses détails foisonnants, donc il serait idiot de retirer un demi-point parce que, au fond, les descriptions sont tellement bien qu'on aimerait avoir moins de dialogues... Donc 5/5
D'un point de vue personnel:
C'est le Gaiman que j'ai le moins aimé... Ca se ressent non?
Trêve de plaisanteries, oui, c'est celui que j'ai le moins aimé, car j'ai découvert cet auteur avec American Gods, et pour moi, quand je lis un Gaiman, j'ai envie de retrouver la même maîtrise parfaite de la noirceur que dans ce roman. J'ai donc pris plusieurs pages à me faire à l'ambience plus légère de celui-ci, mélange de conte, de gravité, d'humour, de violence et de bons sentiments. Et puis j'y suis entré, et ça s'est bien passé. J'ai repéré ce qui rendait ce conte unique, pour des qualités que je ne cherchais pas, mais auxquelles je me suis habitué... Mais quand-même je n'ai pas adoré ce livre. Je l'ai juste trouvé très bon. D'un point de vue personnel, je lui donnais 4 jusqu'à il y a peu... Car, oui, la fin est magistrale. Magistrale car... elle justifie tout. C'est la fin type d'un conte merveilleux, que ce soit pour les héros, les ennemis, les seconds couteaux, tout prend sa place, tout s'imbrique et on a envie de le relire d'un nouvel oeil... Enfin j'en ai envie en tout cas, de relire le début comme le conte que ce livre est, du début à la dernière ligne, et non, comme je le fis, comme "un Gaiman" (sous-entendu comme un livre qui amènera suspens, frisson, réflexions etc...). Donc voilà, finalement, subjectivement, ça donnera un 4.5/5 que l'on pourra traduire par "mieux que très bien". Et pourquoi pas 5 me direz-vous? Parce que c'est celui que j'ai le moins aimé de Gaiman, vous voudriez que je mette combien aux autres?
Donc au final ça nous donne 17/20. J'aurais préféré 16.5 vu qu'American Gods a 17 aussi, mais bon, American Gods est meilleur mais traîne en longueur. Celui-ci est moins bon, mais sa longueur est juste parfaite, donc au final je pense que c'est assez cohérent. A lire si vous aimez... lire.
Les +: Gaiman nous montre une autre corde de son arc; le monde est plus que riche; on sourit ET on est triste durant tout le conte; un conte pour adultes, avec des personnages archétypaux dont on voit ici la face sombre souvent éludée; les appartés du narrateur sur les personnages ou sur le monde; les détails inombrables et qui donnent énormement de vie à cette lecture; une fin digne d'un conte pour adultes écrit par Neil Gaiman (et c'est pas rien).
Les -: sensation de situations s'enchaînant sans vrais liens (parfois); Tristan un peu terne (parfois); pas de gros rebondissement sur le fil conducteur (si ce n'est à la fin)